Touslesbudgets.com : Taxe d’habitation et taxe foncière arrivent en ce moment dans les boîtes aux lettres. A quoi servent t-elles ?
Jacques Le Cacheux : Elles sont tout d’abord partagées entre différents niveaux de collectivités territoriales (régions, départements, communautés de communes, communes, ndlr). Les impôts locaux financent entre 30 et 40% de leurs dépenses. Pour les communes, il s’agit notamment des services municipaux, des médiathèques, des crèches ou bien des politiques sociales, comme la distribution des subventions aux associations. Au niveau des départements, les taxes locales financent beaucoup de dépenses sociales, en particulier celles liées aux personnes âgées ou dépendantes. Enfin pour les régions, cela concerne les politiques régionales de transport, la formation professionnelle, l’éducation ou encore la promotion des activités économiques.
TLB : Le montant des impôts locaux pour les ménages varie parfois du simple au triple selon les villes. A quoi tiennent ces différences ?
JLC : Une partie de ces écarts s’explique par les différentes répartitions des entreprises et de ce qu’elles paient aux collectivités. Plus il y a d’entreprises sur leur territoire, plus il y a de recettes fiscales. L’autre facteur, c’est la quantité et la qualité des services publics offerts. En général, plus il y a de services publics, plus les municipalités taxent. En dépit des différences entre communes, il y a quand même une logique : il y a beaucoup plus d’entreprises à Paris, donc la taxe sur le foncier bâti rapporte beaucoup plus et les ménages paient beaucoup moins.
TLB : Les impôts locaux sont-ils trop élevés en France ?
JLC : La question est de savoir si on en a pour son argent, mais il n’y a pas de réponse unique : cela dépend de votre situation personnelle, de la commune où vous habitez…On devrait évaluer les impôts locaux au regard des services proposés par les collectivités. Maintenant, le système est trop complexe. L’une des possibilités serait de rationaliser les collectivités territoriales, qui ont beaucoup embauché ces dernières années… mais pas que pour des choses inutiles. Quand vient le moment de savoir sur quoi on coupe -périscolaire, activités culturelles…-, ça devient en effet beaucoup plus difficile de se décider.
TLB : Comment explique t-on l’augmentation des impôts locaux ?
JLC : Les impôts locaux connaissent une hausse sensible depuis plusieurs années car l’État transfère des compétences aux collectivités territoriales et réduit son concours financier. Pour 2014, il compte diminuer ses dotations de 1,5 milliard. Les collectivités n’ont alors que deux solutions : réduire leurs dépenses ou les compenser par une hausse des impôts locaux.
TLB : Pourquoi ces taxes sont-elles impopulaires alors que les Français réclament toujours plus d’équipements et de services ?
JLC : C’est l’éternel paradoxe de la fiscalité. Regardez ce qui se passe actuellement en Bretagne : les gens ne veulent pas payer l’écotaxe, mais ils veulent continuer à toucher des subventions pour exporter leurs poulets vers le Moyen-Orient. Or les subventions ne tombent pas du ciel. C’est la même chose pour la fiscalité locale. Les écarts qui existent entre communes font naître dans l’esprit du contribuable la vision d’un certain arbitraire. D’autant que le calcul n’est pas très transparent : la taxe foncière et la taxe d’habitation sont calculées sur la base des valeurs locatives, qui sont des montants déterminés de façon floue il y a une quarantaine d’années pour chaque logement sur une base cadastrale. Une énorme partie du parc immobilier est donc imposé sur des bases tellement anciennes qu’elles n’ont plus rien à voir avec les valeurs locatives actuelles. Il serait souhaitable que la fiscalité soit assise sur des valeurs plus réalistes pour être perçue comme plus juste.
TLB : Qu’est-ce qui empêche de remettre à jour les valeurs locatives ?
JLC : Il y a eu un certain nombre de tentatives depuis une vingtaine d’année, sans résultat car cela implique une grande redistribution de la charge fiscale. Le propriétaire d’un appartement de 120 m² dans le Ve arrondissement de Paris, dont la valeur locative est minimale, verra son imposition multipliée par quatre ou cinq. Ce serait plus juste, mais la transition serait difficile. Et c’est très compliqué politiquement, même si le total des recettes resterait à peu près le même. L’autre solution pourrait être de revoir l’imposition locale avec une assiette basée sur les revenus comme cela existe dans beaucoup de pays, même si c’est déjà un peu le cas en France pour les gens aux revenus les plus modestes.
TLB : On entend beaucoup parler en ce moment du « ras-le-bol fiscal ». Est-ce vraiment une nouveauté ?
JLC : Il y a déjà eu de telles périodes par le passé. La Révolution française en était une, les années 1920, l’entre-deux guerres et les années 1950 aussi. Le mouvement actuel est pourtant assez nouveau sous la Ve République, dans la mesure où il est lié, depuis trois ans, au fait que presque tous les impôts ont augmenté. Tout le monde a subi, ce qui n’avait pas été le cas depuis longtemps.
Propos recueillis par Benjamin Hay
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